Salon « Désir d’enfant », la justice française s’en lave les mains

Source [genethique.org] Contesté auprès du tribunal administratif, le salon « Désir d’enfants » ne sera pourtant pas interdit. Aude Mirkovic, Maître de conférences en droit privé et Porte-parole de l’association Juristes pour l’enfance, auteur de PMA : un enjeu de société, revient sur les conditions de ce refus.

Gènéthique : Vous avez déposé un référé-liberté concernant le salon « Désir d’enfants » qui doit se tenir à l’espace Champerret les 4 et 5 septembre prochains. Que demandiez-vous ?

Aude Mirkovic : Nous avons déposé un référé liberté car ce salon annonce l’intervention de plusieurs sociétés commerciales étrangères dont le fonds de commerce est la PMA et/ou la GPA. Ce sont des médecins, des cliniques, des sociétés qui viennent faire la promotion de leurs activités et exposer aux Français leurs offres pour réaliser des GPA à l’étranger, avec différents packages incluant telle ou telle prestation : la clinique Feskov propose ainsi une offre de GPA « CONFORT », pour laquelle il faut prévoir ses propres ovules, pour 37 500 euros. L’offre VIP à 70 000 euros comprend la naissance du bébé dans un pays francophone, la Belgique, avec une législation simplifiée, et l’offre DELUXE pour le même prix de 70 000 euros comporte la garantie d’un enfant avec un groupe chromosomique normal, et le choix du sexe…

Mais ce n’est pas tout. Certaines de ces sociétés sont là aussi pour démarcher les Françaises pour vendre leurs ovocytes: Extraordinary Conception promet ainsi 5000 euros minimum et le voyage pris en charge pour aller vendre ses ovocytes.

Notre référé demandait donc l’interdiction du salon ou, au minimum, des interventions des sociétés étrangères de GPA, pour violation des libertés fondamentales que sont le droit au respect de la dignité et la non marchandisation du corps humain.

G : Quelle réponse avez-vous obtenue ?

AM : Le juge des référés a mis 48 heures pour donner une réponse, le tout pour rejeter sans audience notre recours au motif que « la seule participation durant ce salon d’intervenants qui organiseraient la gestation pour autrui dans des pays étrangers où celle-ci est légale ne peut être regardée comme constituant par elle-même une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées ». Vu la gravité des faits, balayer ainsi notre recours par une ordonnance de triage manifeste une désinvolture et l’absence de volonté de lutter contre la GPA, en dépit des paroles très fortes de condamnation qu’on entend partout : le garde des sceaux comme le Premier ministre ont dit et redit en juillet à l’Assemblée que la GPA constituait la ligne rouge du gouvernement. Eric Dupond-Moretti a été interpellé en séance par le député Thibault Bazin sur l’annonce de ce salon en septembre. Il a prétendu combattre le prosélytisme en vue de la GPA et pourtant, il n’a pas levé le petit doigt. Juristes pour l’enfance lui a écrit fin août, pour s’étonner de ce que ce salon soit encore programmé, aucune réponse. Mais nous ne baissons pas les bras : un jour ou l’autre, cette prise de conscience à laquelle nous travaillons portera ses fruits et nous tomberons sur un juge qui se préoccupe d’appliquer la loi. C’est tout ce que nous demandons car, rappelons-le, la loi française interdit la GPA et sanctionne pénalement le délit d’entremise en vue de la GPA. Or, que fait ce salon si ce n’est organiser la rencontre entre les prestataires de GPA et de potentiels clients ? C’est exactement le délit d’entremise.

G : Que signifie, selon vous, cette réponse quant au regard qui est porté en France sur ces questions ?

AM : On a du mal à comprendre le décalage entre le discours officiel et la réalité : la GPA est condamnée en principe, mais les pouvoirs publics qui laissent passer ce genre d’événement, la rendent accessible depuis la France. Le « raisonnement » du juge administratif est que « la seule présence de ces sociétés ne suffit pas » pour caractériser l’atteinte aux principes de dignité et de non marchandisation des corps. Avec un tel « raisonnement », pourquoi ne pas organiser un salon sur la prostitution infantile ? Un salon qui informerait le public sur les moyens de trouver des prostitué(e)s mineur(e)s en Thaïlande ou ailleurs. Pas de prestation d’enfants sur place en France bien sûr, « seulement » la présence de sociétés spécialisées en la matière, distribuant des catalogues d’enfants à choisir en fonction de leur photo, leur taille, leur poids, la couleur de leurs yeux ou de leur peau (tout ce que proposent les catalogues de femmes des sociétés de GPA), en vue d’un futur séjour… Aujourd’hui un tel salon serait condamné parce que la société a pris conscience de la gravité de la pédophilie. Dans quelques années, la prise de conscience sur la GPA se fera et les promoteurs de ce genre de salon seront traduits en justice et montrés du doigt comme l’est aujourd’hui Gabriel Matzneff. Mais pourquoi attendre des victimes pour ouvrir les yeux ? Il serait plus sage de réagir aujourd’hui contre cette exploitation reproductive de la GPA et, plus généralement, ce commerce humain de la procréation.

G : Avez-vous d’autres recours ?

AM : Nous allons saisir à nouveau le tribunal administratif, et nous formons un pourvoi contre la première décision devant le Conseil d’Etat. Malheureusement, vu que le juge de première instance a mis 48h avant pour nous balayer sans autre forme de procès, c’est le cas de le dire, le Conseil d’Etat examinera vraisemblablement le pourvoi la semaine prochaine. Mais cela vaut la peine car nous travaillons aussi pour que d’autres salons de ce type ne puissent se tenir en France.

Et puis, bien entendu, nous allons déposer une plainte au pénal pour délit d’entremise en vue de la GPA, exercice commercial de la médecine et publicité trompeuse. Ces plaintes auraient pu être évitées si la préfecture d’abord et le juge ensuite avaient fait leur travail pour que ce salon n’ait pas lieu. Nous savons rédiger des plaintes, ce n’est pas le problème : mais cela ne nous fait pas plaisir de constater des faits d’entremise en vue de la GPA, nous aurions préféré que le salon ne se tienne pas du tout. Ce que nous visons, c’est la justice, et une plainte vient constater une injustice. Encore une fois, ce n’est pas une ordonnance de non droit qui nous découragera : cela prendra le temps qu’il faut mais, à la fin, la justice reprend ses droits.