[Source : Les Echos]

L'affaire Kim Kardashian est bien plus qu' « un nouveau coup dur » pour Paris et plus largement la destination France, déjà confrontées à la menace terroriste. Le braquage dont a été victime la vedette américaine de télé-réalité, compagne du non moins célébre Kanye West, diffuse à son tour dans le monde entier le même message inquiétant : la France n'est pas, n'est plus, un pays sûr. Et, faute de rassurer au plus vite, elle risque de voir flancher durablement son industrie touristique. D'où l'appel réitéré lundi par les professionnels d u tourisme, réclamant des « mesures fortes », dont la mise en place d'une éventuelle police touristique...

Les pouvoirs publics doivent se saisir du sujet. A défaut, l'objectif des 100 millions de visiteurs étrangers en France en 2020 sera hors de portée. Il semble d'ailleurs l'être déjà : il faudrait désormais en accueillir 5 millions de plus par an pour atteindre ce seuil symbolique, fixé par Laurent Fabius en juin 2014. A l'époque, l'ancien ministre des Affaires étrangères et du Développement international avait engagé un premier plan de relance d'une destination France, au sommet mondial en nombre d'entrées - c'est une autre affaire pour les recettes... -, mais toujours plus concurrencée.

Deux ans plus tard, le contexte a radicalement changé. Directement liée aux attentats - mais pas seulement, l'incidence de la petite délinquance devant être également prise en compte pour les clientèles asiatiques -, la chute de la fréquentation à Paris et à Nice pèse sur toute la filière, masquant la bonne tenue de l'activité en province. Et même si la baisse des flux internationaux est finalement moins accentuée qu'à la fin de l'été (le rythme était alors de - 8 %), le total de visiteurs étrangers pour 2016 sera nettement inférieur aux 84,5 millions de l'an dernier. Dans ce contexte, le geste du nouveau locataire du Quai d'Orsay, Jean-Marc Ayrault, qui a récemment porté de 1,5 million à 10 millions d'euros le montant de l'enveloppe exceptionnelle débloquée au début de l'année pour financer des actions de promotion est évidemment bienvenu. Mais apparaît presque dérisoire, au regard des enjeux : 10 millions, c'est à peu près la valeur estimée des bijoux dérobés le week-end dernier à Kim Kardashian durant son séjour parisien...

Le comité interministériel sur le tourisme (CIT) que réunira le Premier ministre le 19 octobre arrive donc à point nommé. Les pouvoirs publics, qui en avaient décidé le principe début août, confirment avec cette initiative rare - le précédent CIT remonte à juillet 2004 - le caractère stratégique d'un secteur générant 7 à 8 % du PIB national, comptant environ 2 millions d'emplois et en capacité d'en créer bien d'autres. Reste à savoir ce qui sortira de cette réunion.

Jean-Marc Ayrault a d'ores et déjà indiqué qu'elle visait à « accélérer les chantiers lancés en 2015 » par son prédécesseur : structuration de l'offre ; amélioration de l'accueil ; prise en compte du numérique ; formation ; investissements dans les infrastructures. Autant de chantiers couverts par le programme d'investissements d'un milliard d'euros sur cinq ans, confié il y a quelques mois à la Caisse des Dépôts et Consignations.

Si les thèmes listés par le ministre sont pertinents, certains sujets de fond sont absents, bien que soulevés depuis des années. Ainsi, il n'est toujours pas question d'accroître les moyens de l'agence Atout France, créée en 2010 pour mettre en oeuvre la politique touristique de l'Etat (promotion, ingénierie-conseil, analyse/études, classement hôtelier, registre des opérateurs touristiques). Si son directeur général, Christian Mantei, s'active comme un beau diable, son budget global reste modeste, aux alentours de 66 millions d'euros. Sur le papier, Atout France aurait de quoi rivaliser avec son équivalent espagnol Turespana - 91,3 millions de budget, dont 37 millions consacrés à la « promo » - sauf que les régions espagnoles sont également fort actives en ce domaine.

Autre serpent de mer : la réforme du pilotage politique du tourisme. La présidence Hollande l'a même compliqué en instaurant une double tutelle avec, d'un côté, le ministère de l'Economie, de l'autre, celui des Affaires étrangères, sans parler des secrétariats d'Etat qui leur sont rattachés. Certes, Laurent Fabius l'a remarquablement incarné, mais momentanément, ce qui renvoie à un autre constat : le tourisme a droit, de longue date, à un traitement a minima, faute de poids lourds politiques pour mettre ses dossiers en haut de la pile. Hervé Novelli (LR), qui fut à la fin des années 2000 un dynamique secrétaire d'Etat, a souvent ramé à contre-courant. Dans un rapport remis en septembre au Premier ministre « sur la destination France après les attentats », Jean-Paul Huchon a d'ailleurs enfoncé le clou : à défaut d'un « hypothétique » ministère du Tourisme, une sempiternelle revendication des professionnels, l'ex-président de la région Ile-de-France plaide pour un « Commissariat » rattaché à Matignon. L'Etat pourrait en outre s'appuyer sur des « Commissaires régionaux au Tourisme » , afin de mieux coordonner son action localement. Une manière de remettre de l'ordre dans l'empilement des structures relevant des collectivités locales... Car, en matière de tourisme, un symbole de l'exercice du pouvoir des élus, la réforme territoriale n'a pas encore eu lieu.

Au fond, le tourisme tricolore est à l'image du pays, avec ses atouts, ses handicaps, et ses réformes repoussées de longue date.

Christophe Palierse
Journaliste au service Services