Depuis cinq ans, l’Education Nationale a resserré son emprise et son contrôle sur les esprits, cela nous le savons. Mais ce que l’on sait moins, c’est qu’elle a resserré aussi les possibilités de contacter les lycées et collèges de France, autrement dit son emprise matérielle.
Il existait il n’y a pas si longtemps un moyen simple si on voulait envoyer un message à un établissement : les sites internet et le menu « contacts ». Il n’y a pas si longtemps encore, (et certains lycées ont maintenu cette formule), on pouvait contacter directement le secrétariat voire le proviseur, avec des menus différenciés.

Aujourd’hui, un moyen simple de vérifier l’emprise de l’administration sur le lycée que vous voulez contacter consiste à regarder le « contact ». S’il commence par « ce » suivi d’un chiffre,puis « ac. » (pour académie) alors vous pouvez être certain qu’il y a peu de chance pour qu’on vous réponde.

Même chose pour les IPR – inspecteur pédagogique régional. Il y a quelques mois, j’ai fait parvenir aux IPR de lettres un dossier sur « l’origine assyrienne de la fable » pour leur signaler,étude à l’appui, que ce qu’on raconte dans les manuels est faux, et que par conséquent l’approche « apologue » et toute l’analyse des textes argumentatifs que les lycéens apprennent par cœur est caduque. Sur une quinzaine d’envois, une réponse : « Madame, je lirais bien certainement votre travail ». C’était poli. Le plus souvent, ces courriels, que l’on trouve sur les sites officiels, ne sont plus valides et vos messages vous reviennent par Monsieur Mailer Daimon,dans une langue indéchiffrable, (du hittite ancien peut-être ?).

Voici par exemple le courriel du lycée Marguerite de Valois à Angoulême ce.0160003S@ac-:poitiers.fr. Il suffit de faire le test.

Quant à la question des éditions scolaires, elle mérite qu’on s’y attarde. La structure éditoriales’appelle désormais « Canopé », depuis deux ou trois ans. Allons sur la toile, tapons, la pages’ouvre devant nos yeux émerveillés : « Pour l’école de la confiance », et « Nouveaux enseignants », avec toute une flopée d’ouvrages proposés, aux titres grisants et aux prix affolants : « Le guide du nouvel enseignant » (17,50 euros), « découvrir le cerveau à l’école », «magist@re, « l’école en Algérie, l’Algérie à l’école » (gratuit, autrement dit, c’est nous qui le finançons et si on en juge la couverture, il a du coûter une fortune). Suit toute la série de livres sur les méthodes nouvelles pour enseigner : « la grammaire nouvelle à l’école », ou « faire de la grammaire avec les nouveaux programmes ». Et si on est un peu curieux, on peut trouver l’objectif général affiché dans le secondaire: s’approprier les connaissances et les compétences pour comprendre le monde et devenir un citoyen éclairé et actif. Quelles connaissances ?Hormis le « guide du nouvel enseignant », et les « 52 méthodes pour enseigner dans le secondaire »,tout le reste est gratuit. Or, ce sont précisément ces deux ouvrages dont les jeunes enseignant sont besoin et non la suite d’une exposition sur l’école en Algérie. Quel accueil pour nos jeunes professeurs…

Sur ce site « Canopé » Vous ne trouvez aucun téléphone mais vous trouvez les menus habituels aux sites d’achat : « mon panier », « mon compte »….
Il y a quelques années, j’avais réussi à joindre les gens de l’académie de Strasbourg, très aimables, qui m’avait renvoyé à ceux de Nice. Ils avaient été intéressés par un petit livre de philosophie « Pourquoi les hommes se constituent en société, les réponses de Platon et d’Augustin ». On m’a fait réécrire le texte au motif c’était la réponse d’Augustin qui intéressait.Ça tombait bien, moi aussi. J’ai réécrit. On m’a alors demandé une autre réécriture avec une liste d’arguments à l’appui, si fallacieux que je ne les ai pas retenus. La collection philosophique dans lequel l’ouvrage devait paraître a disparu quelques semaines plus tard. Je n’avais pas réécrit le texte.

Toute cette littérature gratuite coûte une fortune. Qui la finance ? Car il faut bien payer la conception et la fabrication de ces ouvrages. Qui paie pour toute cette propagande méthodologique ?
Sans cette valse des réformes depuis quatre ou cinq décennies, les familles pouvaient aider leurs enfants, au moins dans le primaire, parce qu’elle connaissait un peu le « paralangage », comme disent les cuistres. Il fallait enrichir, voire renouveler les méthodes et sans doute une partie des programmes mais sur un fond permanent qu’on eût maintenu et en intégrant avec prudence les apports récents dans les domaines scientifiques et littéraire.

Il était sans doute insupportable à tous les Justes de la terre de France ayant un quelconque mandat politique que puisque toutes les mères ne pouvaient pas expliquer une règle grammaticale simple à leur progéniture, il fallait détruire la langue dans laquelle les explications se donnaient et qui assuraient des exercices mécanisés. On se souvient de la triste formule de Lénine : « Camarades, si le soleil ne brille que pour la bourgeoisie, nous éteindrons le soleil ». Alors,camarades socialistes, si la grammaire n’est plus compréhensible aux familles défavorisées,détruisons la grammaire… Ou modifions-la de telle manière que ceux qui pouvaient encore aider leurs enfants ne le puissent plus. Détruire le lien entre les générations a été l’un des premiers objectifs de ces députés dignes de la fable de Fénelon. Nos députés nous font croire que le chat de la fable (dont ils ont vu les terribles griffes) est un adepte de la sagesse, a vu des pays merveilleux et ne vient que pour échanger, et que même, il ne croque pas les lapins, puis qu’il est adepte de la métempsychose et ne mange rien qui eût eu vie. Qui croit encore le moindre députée notre république des lapins ?

Le ministre a changé, certes, mais l’Administration dispose de structures solides, opaques, et désormais solidement verrouillées.Inutile de nourrir trop d’illusions. Ça sera long pour redécouvrir la raison et la liberté de réfléchir dans nos écoles, sur fond d’une authentique culture française et européenne, car, n’est ce pas, nous n’avons pas attendu Jean Monnet ou Robert Schumann pour notre République des Lettres ?

Notre ministre est au courant que les jeunes enseignants doivent payer l’ouvrage destiné à les aider, pendant qu’on distribue gracieusement un livre d’art sur l’école en Algérie ? Il serait bonde l’en informer, ainsi que, accessoirement, nos concitoyens.

 

Marion Duvauchel

Professeur de lettres et de philosophie