Aux origines de la décroissance s’offre à lire comme un utile complément de son devancier.

Lorsque, dans son dernier opus (Notre ennemi, le capital, chroniqué dans ces colonnes), Jean-Claude Michéa reconnaissait qu’il serait plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme, sans doute rabattait-il sa part d’utopie sur une résignation tragique laissant peu de place au grand Armageddon anticapitaliste que sa roborative critique laissait espérer.

Qu’il nous soit permis, à l’occasion de cette recension, de lever un voile d’optimisme, non point béat, mais radical, au sens premier de ce mot. L’on saura gré aux éditeurs Cédric Biagini (auteur du remarqué et stimulant L’Emprise numérique. Comment Internet et les nouvelles technologies ont colonisé nos vies, l’échappée, 2012), David Murray et Pierre Thiesset (plume bien connue du mensuel de « la joie de vivre » La Décroissance) d’avoir rassemblé, en quelque trois cents pages, cette remarquable anthologie de cinquante penseurs critiques de la décroissance. En 2013, Biagini avait inauguré avec Radicalités. 20 penseurs vraiment critiques (l’échappée), substantiel panorama des contempteurs de la modernité techno-industrielle. Autant dire qu’Aux origines de la décroissance s’offre à lire comme un utile complément de son devancier.

Il est évidemment impossible de décrire par le menu le contenu immensément riche (et bien davantage !) amené, lui aussi, à rejoindre Ce que penser veut dire d’Alain de Benoist sur les rayons des grands classiques des bibliothèques d’histoire des idées. L’on se risquera, toutefois, à mentionner ce court extrait du Socialisme sans le progrès (dont le titre initial est La racine est l’homme, tout un programme !) du journaliste américain Dwight Macdonald (figurant, lui-même, en bonne place dans ce compendium inestimable et présenté par l’intransigeant Vincent Cheynet avec le style incandescent qu’on lui connaît) qui rend compte de l’esprit général de l’ouvrage : « Le terme de radicaux s’appliquerait aux individus, pour l’instant peu nombreux […] qui rejettent la notion de progrès, jugent les choses à l’aune de leur signification et de leurs effets présents, pensent qu’on a exagéré la capacité de la science à nous guider dans les affaires humaines, et qui, en conséquence, tentent de redresser la balance en mettant l’accent sur la dimension éthique de la politique. »

À l’heure où il est de bon ton, tant à l’abri des studios feutrés du microcosme intello-médiatique parisianiste qu’au sein de la caste politico-oligarchique, de claironner un « ni droite-ni gauche » aussi convenu que faussement rebelle, la fréquentation ou la redécouverte de ces empêcheurs de croître en rond s’avère une nécessaire entreprise de salubrité intellectuelle et morale. Les libéraux prétendument sociaux ou soi-disant conservateurs, tous rangés sous la bannière totalitaire du « progrès », resteront toujours dans le même camp : celui de la néantisation de l’homme, désormais physiologiquement noyé dans les eaux glacées du technicisme nihiliste et mentalement consumé aux fourneaux de l’hédonisme matérialiste. « Le progrès, ce que vous appelez le progrès, cette absence erratique de repos et cette hâte, cette incapacité à se tenir tranquille et cette fièvre de voyage, ce soi-disant progrès est un symptôme de notre situation anormale, de notre inculture », constatait implacablement le communautarien solidariste et poète anarchiste allemand Gustav Landauer.

La décroissance n’est pas un programme politique alternatif, un énième « contre-projet » de société ou la promesse jamais tenue d’un nouveau Grand Soir révolutionnaire, mais bien un principe vital ordonné autour des mesures ontologiques fondamentales que sont la simplicité, la tempérance, la solidarité, la décence commune, le sens des limites, le don et le contre-don et l’abondance frugale. De Bernanos à Ellul, de Pasolini à Marcuse ou Ludd, en passant par Thoreau, Tolstoï, Georgescu-Roegen, Gorz, Charbonneau, Illich, Castoriadis, Mumford ou Guy Debord (et bien d’autres parmi lesquels Anders, Lasch, Gandhi ou Arendt), tous « ont toujours défendu des sociétés à échelle humaine, […] n’ont cessé de se lever contre la liquidation […] des modes de vie non capitalistes ».

Source : Boulevard Voltaire