[Source : Famille Chrétienne]

Sainte Bernadette passa les treize dernières années de sa vie à Nevers. Pour le 150eanniversaire de son arrivée, la ville et le sanctuaire préparent pour juillet un grand spectacle nocturne. Reportage.

Le rideau de pluie ne se lèvera pas. En ce dimanche après-midi printanier, il couvre les soixante-dix bénévoles venus répéter. En ponchos et bottes, adultes, enfants, adolescents attendent, attentifs, le top départ. « On m’appelle Espérance. Je ne suis bonne à rien, comme le souffle léger du baiser d’amitié, la caresse apaisante au front du malade. Mais qui sera mes lèvres, qui sera ma main ? » La voix du conteur Michael Lonsdale s’élève. Le jardin des Sœurs de la Charité de Nevers remonte doucement depuis la Loire : un plan incliné idéal pour voir l’ensemble des personnages. Placés côté cour le long du chemin ou côté jardin sous la chapelle dans laquelle fut enterrée Bernadette, les acteurs s’ébranlent. Les uns portent des brancards sur lesquels des blessés sont étendus. D’autres les religieuses accourent pour les soigner. Au micro, Marie-Cécile du Manoir, metteur en scène, commande de disposer les brancards en quinconce. Chacun exécute son rôle sans cafouillage. Sous les yeux de quelques spectateurs, la scène s’anime. Nous sommes en 1870, c’est la guerre. À l’époque, les combats font rage le long de la Loire toute proche et la maison mère des Sœurs est transformée en hôpital de campagne.

Une aventure humaine

La pluie redouble. « Vous êtes adorables, merci de supporter la cata ! », lance Marie-Cécile, ruisselante. Sur les visages pourtant, aucune lassitude mais plutôt une joie de participer à cette aventure humaine exceptionnelle. Même Léo, 4 ans, est tellement motivé qu’il insiste pour porter lui-même une civière ! Les deux cent cinquante bénévoles ont été recrutés via les réseaux sociaux et les médias locaux. Tous sont neversois. Ils forment un patchwork de générations, d’âges, de milieux sociaux et de niveaux de pratique religieuse différents. Tout l’art de Marie-Cécile a été de leur donner une place « en fonction de ce que chacun peut apporter ».

« Ça commence à faire une grande famille », constate Amélie, l’assistante à la mise en scène. Assise à une table pliante, elle note sur un grand cahier tous les détails des différents tableaux. Si la plupart se rencontrent ici pour la première fois, ils ont tous en commun l’héroïne du spectacle : Bernadette. Beaucoup confessent aller la voir régulièrement à la chapelle du couvent (son corps est conservé dans une châsse, miraculeusement intact). Comme Stéphane, 34 ans, auxiliaire ambulancier : « Je viens souvent ici. Bernadette touche tout le monde : la foi n’a pas d’âge. » Venu grâce à des amis, il jouera tour à tour un Prussien, un photographe, un rouleur de tonneaux. Si la présence de sainte Bernadette à Nevers n’est un secret pour aucun habitant et aucun des pèlerins qui viennent depuis le monde entier la visiter, elle étonne ceux, bien plus nombreux, qui la croyaient à Lourdes. L’objet du spectacle est de dire pourquoi elle est arrivée ici, pourquoi son histoire est inséparable de celle de la ville de Nevers.

Une expérience spirituelle

Sur la pelouse, une rivière tumultueuse apparaît. C’est le Gave, projeté par mapping vidéo (fresque lumineuse). Au bord, les acteurs miment les Lourdais s’agitant. Sur la bande-son, le conteur a laissé la place aux voix pré-enregistrées de plus d’une centaine de personnes, toutes bénévoles : « La petite Soubirous, elle a eu une apparition», « Je vous dis qu’elle a vu une dame blanche ! », « C’est la faim qui la travaille ! », « Elle veut se rendre intéressante». Marie, une petite blonde de 13 ans, joue Bernadette : « Je n’ai pas été choisie parce que j’ai quelque chose de plus que les autres mais parce que je lui ressemble. » On la voit répondre aux interrogatoires avec des mots vrais, parfois drôles, et un solide bon sens. Au fil des répétitions, Marie-Cécile voit ses acteurs se transformer. « Dans le théâtre, le seul matériau, c’est soi-même. En jouant, on donne son être. Je dis souvent : servez-vous de votre corps, de votre souffle ! Aujourd’hui, les gens sont très éclatés. En ramassant leur incarnation pour la donner au public, ils sont mieux dans leurs pompes. C’est palpable. Le théâtre est pour beaucoup d’eux une expérience spirituelle. » En y ajoutant le témoignage de la vie de Bernadette, pauvre parmi les pauvres, donnée, aimante, sainte, le spectacle fera mouche des deux côtés de la scène.

Au rez-de-chaussée d’une maison attenante au sanctuaire, Denise, Marie-Claude et Laura préparent l’essayage. Grâce aux dons, cinq cents costumes ont été réalisés sous la houlette d’une costumière professionnelle. Ils sont rangés sur des portants. Ici, ceux des petits métiers de Nevers : bateliers, faïenciers, marchands de sel. Là, ceux des ouvriers, des courtisans et des bourgeois de la ville. Sur la scène finale, apparaîtront des habitants du monde entier. Ils figurent ceux qui se confient à elle, forts de ses derniers mots : « Je n’oublierai personne. »

Un partenariat entre la ville et l'Espace Bernadette-Soubirous

Jacques Alexandre, président de l’association Spectacle Bernadette-Nevers, retrace l’histoire du projet.

« Nicolas Joanne, directeur de l’Espace Bernadette-Soubirous, avait écrit un synopsis magnifique et me l’a confié. L’association a été montée en mai 2014 avec l’évêque, Mgr Thierry Brac de La Perrière, un conseiller départemental, la directrice de l’office de tourisme et la responsable de la réservation hôtelière à l’Espace Bernadette.

Notre budget est de 450 000 € : la moitié sera constituée par les recettes, l’autre vient de la Ville. Bernadette est un emblème pour Nevers : elle attire plus de deux cent mille pèlerins chaque année, et beaucoup de lieux en ville rappellent sa présence (www.nevers-tourisme.com). Je pense aux vitraux de la cathédrale qui la représentent (1) ou à Sainte-Bernadette-du-Banlay, une église en béton à l’architecture étonnante. Sainte Bernadette est un atout touristique non négligeable pour la municipalité. Elle en est consciente aujourd’hui, mais cela n’a pas toujours été le cas. De son côté, la congrégation hésitait à lui faire trop de publicité, se conformant à son souhait de rester discrète. Mais cela a changé et la maison mère a largement ouvert ses portes. Les Sœurs de la Charité nous ont aussi proposé le jardin du couvent Saint-Gildard, n’hésitant pas à couper un arbre pour dégager l’espace scénique. C’est très emblématique de jouer sur les lieux mêmes où Bernadette a vécu.

Grâce à ce partenariat, le scénario raconte à la fois l’histoire des Sœurs de la Charité, celle de sainte Bernadette et celle du Neversois entre la fondation de la congrégation et la mort de Bernadette. »

(1) Visite gratuite tous les jours, sauf samedi, à 16 h 30, jusqu’au 18 septembre. regards.cathedrale@nievre.catholique.fr

 

Bénédicte de Saint Germain